Il existe un certain flou artistique autour des termes particulièrement polysémiques de commissariat et de commissaire. Si la culture populaire associe instinctivement le commissariat à l’univers policier et la commission à celui de l’enquête gouvernementale, le.la commissaire en art n’évoque pas au public de liens aussi immédiats. En effet, en naviguant à travers les multiples définitions de dictionnaires ou d’encyclopédies, on remarque que le.la commissaire d’exposition brille par son absence. Pourtant, ce rôle occupe une place centrale au sein du monde artistique.
Au fil du temps, le commissariat d’exposition s’est largement transformé, tout particulièrement depuis la fin du XXe siècle. En effet, dans un récent passé, la fonction de commissaire était principalement associée au choix, à l’obtention et à l’accrochage d’œuvres en vue d’une exposition, bref à un travail aussi invisible que son existence hors des milieux culturels. Aujourd’hui, les définitions spécialisées s’accumulent et se complètent, façonnant une conception de ce rôle comme rassemblement de multiples facettes : la sélection et l’accrochage des œuvres certes, mais aussi la recherche, le choix de l’angle d’analyse, la rédaction et l’édition d’un catalogue. Somme toute, le.la commissaire se fait l’intermédiaire entre l’institution, les diverses équipes (scénographie, architecture, médiation, communications, etc.) et les artistes – ou dans le cas de plus petits budgets, entre ses nombreux chapeaux et les artistes –, mais aussi et surtout entre les œuvres et les spectateur.rice.s. Il.elle participe à l’existence de l’œuvre dans l’espace public, y ajoutant le filtre de sa propre réflexion. Dans sa version anglaise, le terme curator, dont la racine étymologique ramène à la notion de prendre soin – to take care of –, laisse une place à la part d’entretien des relations, primordiales à cette fonction. En bref, le.la commissaire se fait en quelque sorte le.la chef.fe d’orchestre des expositions, interprétant les œuvres pour mieux les offrir à son public, avide de culture.
Si ce rôle peut parfois sembler entouré d’un épais brouillard, ses contours se font de plus en plus saillants depuis les années 1980. En effet, le pouvoir et le prestige associés au.à la commissaire croissent de façon vertigineuse, tandis qu’on assiste à sa consécration en tant qu’auteur.rice et qu’on en vient même à considérer son exposition comme une œuvre à part entière[1]. Cette nouvelle tendance ne fait pas l’unanimité au sein du milieu de l’art, alors que nombre de chercheur.se.s et critiques considèrent que la reconnaissance devrait essentiellement être accordée aux artistes. Cependant, plusieurs actes de légitimation tels que la création d’un Grand Prix national de la muséographie (1987), l’attribution d’un Prix Vasari de l’édition d’art à un catalogue et la signature du catalogue par le.la commissaire prouvent cette autorité grandissante[2]. En ce sens, tout comme dans le cas de l’art en général, il n’existe pas de frontières solidement établies autour du commissariat : on ne sait toujours pas précisément ce qu’il devrait être ou ne pas être – là est la question, comme on dit…
La commission d’enquête commissariale : un jeu de limites
Dans le contexte de sa résidence au Mois Multi, À l’est de vos empires a décidé de sauter tête première dans l’océan de ces flous lexicaux et de ces polémiques. Avec un titre ambigu humoristique et une esthétique policière colorée, on aborde de front l’ambivalence des mots commissariat et commissaire, les ramenant à leur signification globalement mieux connue. Faisant irruption – avec un mandat légal bien sûr – dans un projet déjà commissarié, À l’est s’inscrit dans une sorte de méta-commissariat. À travers ses enquêtes et ses filatures, le collectif se fait l’intermédiaire entre le festival et le public, ajoutant des filtres inédits aux diverses créations. Ses membres offrent ainsi de nouvelles clés pour comprendre les œuvres différemment à partir d’entrevues, de vidéos et d’images qui auraient autrement été classées « top secret ».
Les collaborateur.rices du magazine culturel jouent également sur la frontière entre commissaire et auteur.rice, tandis que le concept de résidence se voit habituellement réservé aux artistes. L’ambiguïté contenue dans le titre du projet de résidence s’étend alors à son existence même, à la lisière de toutes les limites commissariales. Ainsi, À l’est de vos empires prouve son acceptation de l’indéfinition du commissariat, témoignant de sa volonté de s’adapter à l’imprévisibilité des multiples façons d’exister de l’art actuel.
– Julia Caron Guillemette
Julia Caron Guillemette est candidate à la maîtrise en histoire de l’art à l’Université Laval. Elle s’intéresse aux pratiques actuelles autochtones et à leur réception, ainsi qu’aux notions d’identités, de genres, d’environnement et de féminisme émergeant de diverses pratiques contemporaines. Elle participe à la médiation culturelle au Musée national des beaux-arts du Québec où elle a aussi fait un stage en conservation auprès de Bernard Lamarche. Elle effectue à l’occasion des comptes-rendus d’exposition pour certains périodiques et réalise le commissariat de l’exposition Ostentations (2022).
À l'est de vos empires vous prépare une sélection hebdomadaire d'activités culturelles à faire à Québec.