Un texte de Frédérique Anne Audet
Le 28 octobre dernier, Jocelyn Robert eut la gentillesse de m’accueillir dans son atelier, lieu de repère d’une petite armée de perroquets bien bavards
Frédérique Anne : Comment te présentes-tu en tant qu’artiste ?
Jocelyn : Avec le temps, ça dépend à qui tu te présentes, alors tu développes des versions. Celle que j’aime le mieux c’est : Tsé, quand tu vas à l’épicerie, tu as des cannes de pois vert Edmund, Nesbitt. Habituellement, tu as la canne jaune où il est juste écrit « pois ». Moi c’est juste « Jocelyn ».
Après ça, il y a aussi une version longue : J’ai fait deux ans en pharmacie. J’ai laissé la pharmacie. Je suis allé en architecture. À l’époque, le cours c’était quatre ans. J’ai fait quatre ans. J’ai travaillé cinq ans dans le domaine.
À la fin des années 80, trois choses sont arrivées en même temps. Je faisais tout le temps d’autres affaires. En 1989, j’ai fait ma première expo solo à l’Oeil de poisson. J’étais avec les gens d’Obscure à l’époque ( premier centre d’art interdisciplinaire à Québec), Gilles Arteau, Robert Faguy, Louis Verette, Fabrice Montaigne, George Azzaria, qui sont maintenant tous des gens super importants partout.
En 1989, en partie grâce à eux autres, j’ai rencontré Michael Snow, avec qui j’ai travaillé.
J’ai, de loin, travaillé pour le projet de Jean-Pierre Réneaud et, en même temps, il y avait Chris Cockler à Londres qui m’a écrit : « Hey Jocelyn, tes affaires, on va faire un disque avec ça. »
Faque j’ai faite : « Ok, c’est beau, j’arrête l’architecture et je m’en vais faire ça. »
En 1992-93 j’ai lancé Avatar et en 1995 on a ouvert les portes de Méduse. Puis là, c’est devenu assez typique. À toutes les fois que je réussis à faire quelque chose, je pars faire autre chose. L’architecture, ça m’a pris cinq ans pour faire « ok je comprends comment ça marche ».
En 2001, j’ai eu une offre de Paul De Marinis pour faire ma maîtrise en Californie. C’est un artiste de la côte Ouest qu’on a fait venir deux ou trois fois en 1990 pour présenter son travail. Puis à un moment donné il a vu ce que moi je faisais. Ça l’a intéressé ! On a eu des discussions et il a été engagé comme prof à Stanford. Quand il est devenu prof il m’a écrit tout de suite : « Hé Jocelyn, si tu veux faire une maîtrise… »
J’ai dit oui.
Je me suis ramassé président de Méduse en 1997, et on avait des problèmes. La salle principale, on ne pouvait pas l’ouvrir parce qu’il n’y avait pas de chaises dedans. Il y avait eu des dépassements de coûts et le ministère de la Culture a pris le budget « équipement » pour les absorber. Puis là, Obscure a fermé, et ils étaient censés gérer la grande salle.
En tout cas, ça a donné des problèmes.
Méduse, c’est un des gros projets du maire L’Allier. Il avait encore beaucoup d’opposition et s’ils réussissaient à faire fermer Méduse, c’était un échec majeur pour le maire. Nous autres, on était entre les deux.
On a réussi à résoudre ça, donc en 2001 j’étais prêt à aller faire autre chose. Je suis allé faire la maîtrise. Après ça j’ai enseigné un an à Oakland, à l’UQAM, et en 2008 un poste s’est ouvert à l’Université Laval et j’ai commencé à enseigner ici.
F.-A. : Pour nous qui essayons d’entrer dans le domaine des arts et de la culture, il nous apparaît toujours un peu opaque. Toi, tu parles des différents rôles-là que tu as occupés comme s’ils t’étaient un peu tombés dessus.
J. : J’en parlais avec un de mes étudiants, qui a plein de projets. On a la même stratégie : appliquer sur dix affaires, se lancer dans douze autres choses. Il y en a toujours une ou deux qui marchent. Puis, tu ne t’occupes pas de celle qui ne marche pas. Si tu regardes autour de toi (nous sommes dans son atelier), il y a au moins trois projets de mes projets en cours en même temps, puis c’est tout le temps comme ça.
Dès qu’il y a une porte qui ouvre, tu rentres. Ça marche, c’est juste épuisant. Tu finis toujours par trouver quelqu’un qui va t’aider, par faire des projets avec ce que tu as. À l’époque je n’avais rien, aujourd’hui j’ai quelques affaires.
F.-A. : Certains considèrent que les centres d’artistes, le système de galerie, ça ne fonctionne pas pour eux. Qu’est-ce que tu leur répondrais ?
J. : Il faut qu’ils fassent autre chose. Quand j’ai lancé Avatar, ça n’existait pas un programme d’art audio.
Quand j’étais à Obscure, à moment donné il y a eu un programme de financement pour les centres en arts visuels et médiatiques. Obscure avait fait la demande. Sur la page d’identification, il avait deux petits carrés « art visuel » ou « art médiatique », puis je me souviens avoir vu Gilles Arteau prendre sa plume, faire un petit carré, et écrire « art multidisciplinaire », puis le cocher. On se débrouille.
On oublie très vite que ces gens-là sont là pour nous. Dès que tu as une idée, ils sont prêts à l’entendre. Ils veulent que ça marche. Ils veulent qu’il y aille de l’art.
Si tu ne trouves pas ta place dans les centres d’artistes, dans les galeries, crée autre chose, passe à côté, va plus loin. Fonde quelque chose qui te ressemble.
F.-A. : Aujourd’hui, cette volonté de faire à sa manière est toujours présente dans les centres d’artistes ?
J. : Déjà à l’époque, ça changeait beaucoup. On a laissé aller un discours sur la bonne gouvernance qui nous vient de certaines théories de gestion qui n’ont rien à voir avec les artistes. On dit par exemple que les artistes impliqués dans la gestion d’un centre ne devraient pas participer à ses activités : ils sont en conflit d’intérêts. On suradministre les centres d’artistes et ça empêche les artistes de travailler pour les centres d’artistes. Sur ton C.A. tu veux avoir les meilleurs artistes de ton domaine, mais ce n’est pas avantageux pour eux d’être là.
F.-A. : Donc, en ce moment il y a moins d’artistes qui travaillent dans les centres d’artistes ?
J. : Exactement.
F.-A. : Est-ce qu’ils reçoivent moins de financement ?
J. : Oui, et il y a des centres d’artistes qui refusent ce modèle.
F.-A. : Est-ce qu’ils reçoivent moins de financement ?
J. : Non non non.
F.-A. : Autrement, beaucoup d’artistes refusent de se catégoriser ? Qu’est-ce que ça fait à l’art de le diviser en catégorie, de dire voilà du symbolisme ou bien voilà de l’art conceptuel?
J. : C’est juste que, il y a toute sorte de modèles pour voir quel rôle l’art joue dans la culture générale. Un de ceux que j’aime bien, c’est … as-tu déjà vu le manifeste à l’origine de la AADRAV (L’association des artistes du domaine réputé des arts visuels) :
L’art, ce n’est pas la culture. La culture c’est ce qu’on a en commun. L’art est en dehors de ça. L’art n’est pas nommé ; si je suis capable de dire « ça, c’est une chaise », c’est parce qu’on s’est mis d’accord sur ce que c’est. L’artiste ne donne pas de nom, parce que si ça a déjà un nom, c’est déjà dans la culture.
L’art renouvelle la culture.
Si ce que tu me dis « Ah, ce que tu fais c’est du surréalisme », j’ai manqué mon coup. Pis toé ta job, en tant qu’historienne de l’art, c’est de courir après moi et de dire « tiens, m’a t’en trouver, un mot ».
F.-A. : Qu’est-ce qui a déclenché ça chez toi, d’être toujours en train de toucher à tout ?
J. : Je ne sais pas vraiment. Il y a une curiosité. J’ai une amie récemment qui me disait une belle phrase : « Le bonheur est dans l’action ». Si je ne suis pas actif, je m’ennuie très très vite. C’est pour ça que je change de job fréquemment.
F.-A. : As-tu un souhait pour la scène artistique québécoise ?
J. : Je trouve que ça manque d’imagination dans la forme. Prends, par exemple, les activités organisées par Folie Culture. Dans les 20 dernières années, tu ne savais jamais ce qu’ils allaient faire. Comment ça se fait que les centres d’artistes soient si prévisibles dans la forme de leurs activités. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’exception.
Folie culture faisait des trucs … Je me souviens, Martin Char avait organisé une parade sur le thème de la souffrance. Il y avait un gros Bouddha sculpté en styrofoam, avec des aiguilles de plantées dedans. C’était une vraie fanfare, venue de Thetford Mines. Le vendredi soir, on faisait une parade autour de l’Église Saint-Roch. On est en train de changer la ville-là.
Il y avait aussi Giorgia Volpe qui avait des ballons gonflés à l’hélium. Puis elle les tenait par la corde et on voyait juste ses deux pattes. Si tu voulais lui parler, il fallait que tu rentres dans le motton de ballons, puis là tu te ramassais vraiment tout seule avec, tout en étant dans la foule.
Je pense que ce sont nos circonstances sur lesquelles il faut qu’on travaille.
F.-A. : Mais ces choses-là, tu les as vécues. Qu’est qui fait qu’il y en a plus des évènements comme ça ?
J. : Ça prend des gens qui le font, qui choisissent les outils. Quand tu disais qu’il y a plein de gens qui ne se retrouvent pas dans les galeries et les centres d’artistes : génial ! Ça prend des gens qui disent : « On va faire de quoi ailleurs. On va changer les circonstances. »
Éloise Plamondon[-Pagé], quand elle a fait sa maîtrise, elle a eu la chance de faire deux-trois résidences et ça a comme cristallisée sa recherche. Elle s’est rendu compte que si tu veux faire évoluer ta pratique, faut que tu fasses évoluer les circonstances de production. La plus grosse chose que tu peux faire pour faire évoluer les circonstances de production, c’est te changer toi-même. Et c’est ce qu’elle a fait.
Elle se met dans des situations où elle change. Son art change.
Si j’avais quelque chose à dire, ce serait que dans la prochaine année, tous les centres d’artistes, vous n’avez juste pas le droit de montrer des choses dans vos locaux. Vous êtes obligés de réinventer des circonstances de diffusion.
À l'est de vos empires vous prépare une sélection hebdomadaire d'activités culturelles à faire à Québec.