*À l’est de vos empires tient d’abord à reconnaître que le territoire sur lequel nous sommes rassemblé.e.s à Québec fait partie de terres autochtones ancestrales non cédées, que nous soutenons la lutte des communautés autochtones et que nous travaillons activement à devenir de meilleur.e.s allié.e.s.
Imaginons un moment une promenade en forêt, un temps d’arrêt où tout semble suspendu. On remarque graduellement les relations entre les insectes et les animaux, entre les animaux et les arbres, entre les arbres et les plantes. Sous nos pieds, on peut sentir les racines reliées entre elles. Soudainement, la complexité de tous ces liens se révèle dans un instant de contemplation et de réflexion. C’est ce moment que nous offre cette année la Biennale d’art contemporain autochtone (BACA). Sous le thème des affinités et des relations(1), la 5e édition, Kahwatsiretátie : Teionkwariwaienna Tekariwaiennawahkòntie, est signée du commissariat de David Garneau, ainsi que du soutien de rudi aker et de Faye Mullen, tous et toutes membres de différentes nations autochtones (Métis, Wolastoqiyik et Anishinaabe). Ces derniers mettent en lumière le travail de plus de cinquante artistes autochtones contemporains. À travers leurs œuvres, ceux-ci évoquent les liens intergénérationnels, l’amitié, les relations entre mentor et apprenti, mais aussi les liens avec les éléments, les plantes, les animaux et tous les êtres vivants qui nous entourent.
En outre, la thématique s’enracine beaucoup plus profondément dans le fondement de la biennale que dans le choix de ses œuvres. Une véritable affinité se dessine entre cette édition et la précédente. Tandis que la 4e édition dirigée par Niki Little et Becca Taylor, Níchiwamiskwém | nimidet | ma sœur | my sister, approfondissait les relations développées par des femmes autochtones allant au-delà des liens du sang, l’édition actuelle prolonge et ouvre le fil de cette réflexion. L’idée de relations et d’affinités au centre du thème de la biennale dépasse alors le sujet des œuvres pour s’incarner dans la continuité entre les différentes lignes commissariales. Elles s’inscrivent aussi dans la forme particulière de l’évènement qui, par un intérêt pour les liens dépassant les objets, se déploie aussi sous forme de musique, d’ateliers, de performances, de table-rondes et de conférences.
Le rôle premier de la thématique est aussi transcendé en ce que les concepts à son origine intègrent jusqu’à la méthode des commissaires. Ceux-ci, dans l’objectif de redistribuer leur agentivité, ont demandé à certains artistes aînés de choisir un proche pour exposer avec eux. Il pouvait s’agir d’un parent, d’un ancien mentor ou d’un apprenti, d’un membre de leur communauté ou de toute autre personne avec laquelle ils avaient tissé un lien. L’unité, l’ensemble des liens incarnés dans l’idée d’un cercle, s’élargit ainsi pour y inclure des artistes jusqu’alors méconnus. Cette méthode singulière s’éloigne ainsi des pratiques commissariales coloniales. Selon David Garneau, l’art visuel comme création et représentation, de même que ses modes d’exposition, est une pratique coloniale. Par la redistribution de son propre pouvoir de sélection, le commissaire s’éloigne alors volontairement de cette pratique.
Ayant conscience que les diverses expositions de la biennale devaient avoir lieu sur le territoire traditionnel non cédé Kanien’kehá:ka/mohawk, les commissaires ont souhaité rencontrer des membres et aînés de la Maison longue de Kahnawà:ke pour établir une alliance. Une nouvelle relation de partage et de soutien mutuel est alors née. « C’est un cœur ouvert, c’est une main tendue et une promesse d’engagement futur » mentionne Garneau. Une fois le thème choisi par les commissaires, il fut demandé à l’Aîné Otsitsaken:ra (Charles Patton) ainsi qu’à la Gardienne de la foi Niioieren (Eileen Patton) de faire le choix du titre officiel de la biennale. C’est ainsi que Kahwatsiretátie : Teionkwariwaienna Tekariwaiennawahkòntie a vu le jour. Ces mots Kanien’kéha symbolisent un cercle infini où, main dans la main, les différentes nations soulèvent un lourd poids. Ce symbole du cercle, particulièrement fort et présent au sein de plusieurs cultures des nations autochtones, désigne ici l’inclusion et la complétion, en plus de marquer un soutien mutuel et un « être ensemble ».
Cette 5e édition est marquée par un désir de matérialiser, dans l’action, les paroles qui façonnent son titre. Les commissaires et le conseil d’administration ont donc demandé à la communauté d’offrir sa bénédiction, mais aussi de participer à la cérémonie d’ouverture de la biennale. De même, en plus d’inclure deux artistes de Kahnawà:ke, les perleurs de la communauté ont été commissionnés pour réaliser des perlages à offrir en cadeau aux artistes. Finalement, dans l’objectif de participer de ce fameux cercle et d’aider cette nation à soulever son poids, la BACA a tenu à offrir des ateliers de grattage de peau et des projets de potagers, afin de palier à la perte de savoirs ancestraux que déplorait les membres de la communauté
La pandémie est néanmoins venue chambouler ces plans, imposant la fermeture des différentes galeries où devaient être exposées les œuvres. C’est ainsi que la BACA s’est tournée, pour la toute première fois, vers le virtuel. La majorité des évènements et des expositions ont ainsi toujours lieu, agrandissant cependant ce réseau de liens à une communauté autrement plus vaste, celle du Web. Tandis que nous sommes tou.tes cloîtré.es et que le contact social est prohibé, cette notion d’affinité, de relations, prend tout son sens. Ce cercle dont fait image le titre choisi pour cette édition se charge d’une signification autrement plus profonde. Il ne revêt que plus encore sa symbolique complète et infinie, tandis que celle-ci se mêle au rhizome éternel de la toile du Web, rempli de nouvelles connexions et affinités.
Si une très grande variété de médiums caractérise la biennale, on constate tout de même qu’un accent est mis sur le perlage et le textile. Selon David Garneau, la réapparition de ces techniques artistiques traditionnelles, redirigées dans une expérience actuelle, constitue un aspect primordial d’une « renaissance autochtone(2) ». Celle-ci s’incarne alors certainement dans cette 5e édition de la biennale. Et dans ce moment de suspens d’où se dégagent sagesse et sensibilité, les affinités et relations mises en scène par les artistes et les commissaires forment une unité. C’est ainsi que, tou.tes ensemble, ils/elles peuvent soulever ces identités autochtones et leur diversité « Chaque exposition représente un pas vers une souveraineté créatrice.(3) » La thématique englobe alors non seulement les œuvres et leurs artistes, mais en nourrit aussi les activités, son approche commissariale, sa résonance avec l’édition précédente, sa relation avec la communauté de Kahnawà:ke, son déploiement dans la toile et même son rôle dans cette renaissance autochtone. Le cercle choisi pour illustrer le titre de cette édition prend toute son ampleur, tandis que l’unité, l’inclusion et les liens qu’il représente sont bien vivants dans chacun des aspects de la biennale. Ce dernier devient alors en quelque sorte un symbole de cette renaissance évoquée par Garneau.
Julia Caron Guillemette
Julia Caron Guillemette est candidate à la maîtrise en histoire de l’art à l’Université Laval. Elle s’intéresse aux pratiques actuelles autochtones et à leur réception, ainsi qu’aux notions d’identités, de genre, d’environnement et de féminisme émergeant de diverses pratiques contemporaines. Elle participe à la médiation culturelle au Musée national des beaux-arts du Québec et effectue à l’occasion des comptes-rendus d’exposition pour certains périodiques. Elle est également co-commissaire de l’exposition Ostentations (2021).
Publié le 4 juin 2020
À l'est de vos empires vous prépare une sélection hebdomadaire d'activités culturelles à faire à Québec.