En février dernier, j’ai pris part à la Commission d’enquête commissariale. Notre mandat de commissaires visait à infiltrer le Mois Multi, se déroulant dans le Vieux-Port de Québec à la Caserne Dalhousie, ancien chef-lieu de Robert Lepage. Les quartiers généraux d’À l’est de vos empires se trouvaient dans l’ancien bureau de l’influent metteur en scène! Voici quelques notes sur les lieux.
Jour froid de février. J’effectue le trajet de Saint-Sauveur jusqu’au Vieux-Port à la marche. En bonne québécoise, je porte un enchevêtrement de plusieurs couches (pull en laine, leggings, pantalons, tuque, bottes, manteau, mitaines); stratégie gagnante… ou presque.
Sous les bretelles d’autoroutes décorées de graffitis, les fantômes de l’ancien quartier chinois de Québec me saluent. Quelques itinérant.e.s devant l’Auberivière me toisent, d’autres dorment encore dans les cadres de porte malgré la température. Plus loin, une galerie d’art aux murs vierges.
Rue Saint-Paul, une carcasse de bâtiment en briques rouges est mangée par une pelleteuse. Ces charniers deviendront des condos locatifs destinées à « revamper le quartier ».
Ensuite, la rue des antiquaires. Vues anciennes de Québec. Faïences diverses. Horloge grand-père. Le Vieux-Port me constitue. Quand j’étais petite, mes grands-parents paternels habitaient un condo rue Saint-Pierre, l’ancienne rue des banques aux façades cossues faites de colonnes grecques. Le Vieux-Port est mort comme mes grands-parents. Le Vieux-Port est une carte postale sans touristes pour l’écrire.
Une fois rendue à la Caserne Dalhousie, je ne sens plus mes mains. J’ai perdu mon vocabulaire architectural pour décrire la façade. La fiche patrimoniale dresse la liste des ancien.ne.s propriétaires, riches familles marchandes britanniques, notamment les Lymburner, les Monro, les Bell, les Forsyth et les Walker.
Mon collègue H. me prévient : « Tu vas voir, il fait chaud en titi dans la Caserne. » Il ouvre la porte. Nous empruntons une cage d’escalier vitrée. C’est la rampe en métal rouge vif qui capte mon attention; sans doute un clin d’œil à l’ancienne vocation pompière des lieux.
Au sommet, une baie vitrée avec une vue imprenable. Je me surprends à observer les allées et venues du traversier Québec-Lévis, presque prisonnier des glaces. Et cette porte rouge carmin flanquée d’un hublot : «le bureau de Bob» est un vaisseau spatial. Un vaisseau tropical plutôt.
C’est une vieille porte de laveuse industrielle abandonnée dans une ruelle près de la Caserne Dalhousie qui inspira à Robert Lepage la pièce La face cachée de la lune. Le metteur en scène cherchait à la fois à faire un solo sur la conquête de l’espace et une pièce à propos de sa mère décédée récemment. Ce vieux modèle de laveuse dont le hublot rappelle l’écoutille d’un vaisseau spatial lierait les deux univers : la conquête spatiale (la vision d’un cosmonaute contemplant la terre de son hublot) et un souvenir d’enfance (une incursion au laundromat avec sa mère) .
Je me déshabille. Je passerai ma journée en t-shirt et en leggings. Je suis une cosmonaute en apesanteur. J’ai du travail à faire.
Alix Paré-Vallerand marche beaucoup : son podomètre en témoigne. En 2019, Alix fut lauréate d’une bourse de création Première Ovation pour la rédaction d’un premier recueil de poésie. En 2020, elle anime le Cercle des auteurs de la relève chapeauté par la Maison de la littérature. Alix vit et écrit en Basse-ville de Québec. Les lieux l’inspirent.
À l'est de vos empires vous prépare une sélection hebdomadaire d'activités culturelles à faire à Québec.