Retour sur le recueil Il fait bleu de Vickie Grondin et Alphiya Joncas

Un texte de Nadia Morin

Extrait du recueil Il fait beau © Site Web des Éditions Omri

Ce livre est tout ce dont nous avons besoin par une journée de temps gris : un peu de doux et de réconfortant. Ponctué de photographies, Il fait bleu relate des bouts de paysages, des territoires bordés d’intimité et d’amitié. Il compose le langage poétique,tant littéraire que visuel,de deux femmes, Vickie Grondin et Alphiya Joncas, qui le temps d’un recueil, nous présentent le fruit de leur travail collectif sur le thème de l’identité et de la sororité. Ce livre-fenêtre nous offre une brèche sur la météo des humeurs dont les relations interpersonnelles peuvent être teintées.

 

Les photographies suggèrent des univers poétiques introspectifs; une forme de refuge où le corps se dépose, se perd et se trouve à la fois. Sous la forme de diptyques à la composition inusitée, mais réfléchie, la contemporanéité de ces photographies souligne merveilleusement la formation en danse de Vickie Grondin. Leur esthétisme est indéniable, tant par la palette de couleurs choisie que par l’écho corps-nature plus qu’intéressant. Les photographies rapportent l’intimité établie dans les poèmes, ce temps d’arrêt où l’entité humaine ne fait qu’un avec la matière et se retrouve confrontée à elle-même, à ses tempêtes, ses moments de grâce, ses envies et ses vertiges. Certaines images proposent un jeu de pastilles de couleur savamment déposées en un agencement ludique, ou encore du ruban adhésif imitant tantôt les montagnes, tantôt la continuité d’une demeure, ce qui réfère à la volonté de Grondin et Joncas de répondre à la question « qu’est-ce qu’une maison? ». On sent bien d’ailleurs leur intention de nous faire comprendre qu’une maison, c’est d’abord ce refuge intarissable en soi et l’univers qui nous entoure, nous habite. C’est ainsi que les deux artistes dépeignent par leur lyrisme des moments plus grands qu’ils ne le semblent, empreints de vulnérabilité, de sensitivité et de proximité. Le recueil se veut une pause, une réflexion sur notre interaction avec l’habitat naturel immédiat, ces lieux emplis de poésie brute.  

 

nordique, sylvestre, montagneuses  

 

je me veux plusieurs vies  

 

dans les paysages fertiles  

 

je me sème en parcelles  

 

laisse la lumière et la pluie et le temps 

  

me grandir(1)

 

Lors de la lecture du poème précédent, un parallèle intéressant se profilait avec le texte « Penser comme une montagne » de Marcia Bjornerud, accompagné de photographies d’Anne-Marie Proulx, artiste avec laquelle Alphiya Joncas a justement déjà collaboré. Le rapport au temps se dessine quelque part de la même façon dans les deux ouvrages, comme le suggère cet extrait : En proie à une puissante exaltation, nous regagnons le présent, conscient(e)s que notre monde en contient une foule d’autres, plus anciens, lesquels subsistent dans les roches sous nos pieds, dans l’air que nous respirons, dans chaque cellule de notre corps(2).

 

Il fait bleu nous donne le goût de s’évader un instant, de prendre le large, en balayant des fragments de bien-être, un mélange d’immenses paysages intérieurs et extérieurs : une écriture foncièrement nomade qui respire et exalte. Aucun détail de ce livre n’a été laissé pour compte, du grain du papier jusqu’au nom de l’éditeur savamment gaufré sur la couverture : au-delà de son contenu, Il fait bleu est un objet fortement esthétique.  

 

on cherche les vents qui caressent l’intérieur  

 

on cherche les paysages plus grands que soi  

 

on cherche les yeux des étoiles  

 

comme on pose le dernier morceau de casse-tête(3)

 

Hâte et curiosité quant à savoir comment la pratique des artistes se développera et gagnera en maturité, puisque ce premier projet collaboratif met assurément la barre haute. Les liens amicaux mis de l’avant, non seulement entre elles, mais avec le territoire, laissent une place de choix à leur espace d’expressivité. Somme toute, Grondin et Joncas maîtrisent habilement leur représentation de l’émancipation de la femme et de l’environnement, tout en continuant leur recherche et interprétation du mouvement. Leurs prochains terrains de jeux restent à découvrir, mais en poursuivant la création amorcée dans ce premier recueil, ils seront assurément fertiles et grisants.

 

quoi de mieux qu’un paysage  

 

et sa soif  

 

d’être traversé  

 

–  Mathieu Simoneau, Par la peau des couleuvres 

 

 

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Nadia Morin est artiste, diplômée au baccalauréat en pratique des arts visuels et médiatiques et au certificat en rédaction professionnelle de l’Université Laval. Elle a présenté ses œuvres dans le cadre d’expositions individuelles et collectives, notamment pour la MANIF d’art et la Coopérative Méduses. Elle est illustratrice mensuelle pour les numéros thématiques de la Gazette des femmes (Conseil du statut de la femme).

 

 

1) Vickie Grondin et Alphiya Joncas, Il fait bleu, Montréal, Omri, 2021, p. 11. 
2) Marcia Bjornerud, « Penser comme une montagne », dans Beside, n° 11 (2021), p. 55-65.
3) Vickie Grondin et Alphiya Joncas, Il fait bleu, op. cit., p. 39.

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