Composition de décompositions est une exposition Web, interactive et évolutive, présentée par le Collectif P.S. L’exposition, qui a pour sujet principal le dumpster diving, prend la forme d’une page Web. Le.la visiteur.se défile à travers une galerie de photos et peut, en plaçant son curseur sur une image, faire apparaître des commentaires laissés par les membres du collectif. Les photos présentent des trouvailles de poubelles, des repas préparés avec ces trouvailles de poubelles et des memes de poubelles (et bien plus encore, mais laissons à la poubelle la place centrale qu’elle mérite). Après le lancement du blogue, des photos y ont été ajoutées plusieurs fois par semaine pendant près d’un mois, pour en arriver à une impressionnante collection.
« J’ai eu moi-même l’impression de dumpster en cherchant, en fouillant à travers les photos. » C’est l’avis que j’avais reçu sur le projet avant de l’avoir moi-même consulté. Puisque le dumpster diving est une activité qui touche à beaucoup de sensations, je ne trouvais pas du tout instinctif de penser que l’expérience d’une page Web puisse d’une quelconque façon véhiculer l’expérience du dumpster diving. Disons-le ainsi : de prime abord, je pouvais difficilement m’imaginer comment le fait de regarder un écran assis.e chez soi pouvait se rapprocher d’être dehors, à toute heure de la journée et en toute saison, derrière un commerce pour fouiller dans une poubelle. Répétons-le encore plus crûment : en faisant du dumpster diving, ça sent le jus de poubelle, tu vois de la nourriture croûtée de moisissure qu’il faut tasser parce qu’à côté, il y a celle que tu vas manger et l’hiver, ça donne vraiment froid aux mains. Des aspects assez centraux de la pratique qui sont difficilement transmissibles via un ordinateur.
Puis, en parcourant la page Facebook du collectif, j’y ai trouvé la présentation suivante qui répondait bien à mon interrogation : « Certains membres du Collectif P.S. voient un parallèle entre la surconsommation alimentaire et médiatique : l’habitude d’avoir tout ce que l’on veut instantanément et en quantités disproportionnées.(1)» Le parallèle en question est exprimé dans l’exposition par le processus d’accumulation : celle des denrées et celle des photos. Au moment où le.la visiteur.se curieux.euse défile à travers les photos et les commentaires, son mouvement rapide l’empêche de vraiment mesurer l’ampleur de ce qu’il.elle voit. C’est dans le moment qui suit l’exposition que se révèlent les couleurs de la critique, quand le public s’arrête, assis devant son ordinateur, et prend conscience de la réalité derrière les photos. S’il essaie de se rappeler ce qu’il a vu, une tonne d’images se présente à sa mémoire et dans chaque image une tonne d’aliments jetés visiblement encore bons. Une quantité qui semble surréelle, mais qui a pourtant été récoltée par un petit groupe de personnes, pendant une période de temps relativement courte (dans l’histoire de la consommation). Si le.la visiteur.se se laisse aller jusqu’à ces considérations, il.elle est forcé.e de voir combien la quantité d’aliments jetés est astronomique. Cette vision peut facilement être anxiogène. Faire le pont entre le virtuel et le réel, tendre le bras à travers notre écran, est un procédé qui peut être vertigineux et c’est l’invitation qui nous est lancée dans cette exposition.
Dans Composition de décompositions, le chemin du virtuel au réel dédouble le ton de l’exposition ; à son côté ludique et moqueur s’ajoute une teinte cynique. Le.la visiteur.se est forcé.e de prendre le chapeau du.de la consommateur.rice (un rôle qui n’est pas très agréable à endosser) et il.elle ne peut le nier puisqu’il.elle est probablement assis.e dans son salon, entouré.e d’objets, sa poubelle à moins de 10 mètres. Mais enfin, une fois le moment (douloureux) de la prise de conscience (forcée) passé, on peut se rappeler que le ton est humoristique et absurde, pour nous permettre de rire un peu. Alors pour celles et ceux qui auraient malencontreusement été replongé.e.s dans l’écoanxiété, rappelez-vous que la salade des poubelles, ça goûte pas mal bon et que si on peut faire des memes là-dessus, on va s’en sortir.
____________
Myriam Labrecque est étudiante au baccalauréat en philosophie et au certificat en sociologie à l’Université Laval, auxquels elle ajoute une touche de musicologie. Elle se laisse porter par le hasard des choses et prend les occasions qui se présentent à elle. Aujourd’hui, elle écrit surtout dans ses cahiers, mais plus tard elle écrira sûrement ailleurs.
À l'est de vos empires vous prépare une sélection hebdomadaire d'activités culturelles à faire à Québec.