Un texte d’Alix Paré-Vallerand
J’ai peu de souvenirs de Toulon, la ville où tu as étudié. Toulon résonne comme l’attente du traversier pour la Corse. Une lumière rase avec vue sur la Méditerranée.
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Épuisée par mon voyage en train, je m’endors dans un resto. En sortant, un homme me lance : « Salut l’escargot ». Sac de randonnée, grosses bottes, j’incarne une caricature debackpackeuse en voyage en Europe.
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À mon arrivée en Corse, mon compagnon de voyage me montre des traces de trou de balle sur les bâtiments. J’ai soudain envie de prendre le maquis.
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Sur la page Wikipédia de ton ancienne école d’art, on indique que le fantôme d’une femme morte le 27 novembre 1942 hante le laboratoire de photo. Je me demande si elle va bien. On n’a malheureusement pas trouvé la référence nécessaire pour la placer en bas de page.
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Le nouveau bâtiment de l’École Supérieure d’Art et Design de Toulon ressemble à un fantasme d’architecte contemporain.
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On dit souvent que j’écris sur les lieux et l’empreinte qu’ils laissent sur moi. Source : mon ancienne coloc.
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Le motif de la grille qui revient dans plusieurs de tes compositions me fait penser aux cahiers quadrillés Clairefontaine dans lesquels écrivait compulsivement ma mère. C’est ironique, car elle détestait les mathématiques.
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J’ai toujours cru que Claire Fontaine était une femme qui avait existé. Probablement une grande autrice. Il s’agit plutôt d’une commune en France.
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Par ma fenêtre : les néons d’un fastfood bien connu éclairent les planchers de bois franc de mon vieil appartement. I confess, parfois j’espionne l’artiste du sandwich passer la serpillière peu de temps avant la fermeture. On dirait une scène peinte par Hopper.
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Par la fenêtre de ton atelier, j’imagine un mur de briques recouvert de graffitis, un stationnement et, le weekend, quelques canettes de bière bas de gamme. Attention, tu as pénétré ma fiction.
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Répertoire de ce que l’on trouve dans ton carnet : formes abstraites ressemblant à une monstera deliciosa, un quadrillé en feutre bleu, un bouquet de roses, une série de lignes grasses à l’encre de Chine, un tracé rectangulaire.
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Ce rituel : tendre la toile sur le cadre et ensuite, le bruit de détente de l’agrafeuse résonne dans l’atelier.
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On t’a souvent comparée à Matisse, celui qui, au crépuscule de sa vie, « dessinait avec les ciseaux ».
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La seconde fois que j’ai côtoyé un Matisse, j’étais en visite à Washington DC. J’avais fait mille fois le tour de la ville et de ses musées gratuits. Je me suis plantée devant un immense collage, déconcentrée par une jeune femme posant pour un photographe.
Aimerais-tu que tes œuvres servent de toile de fond pour une revue de mode comme les photos de Cecil Beaton pour Vogue dans les années 1950? Mannequins sur fond de dripping Pollock.
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À la fin de sa vie, Riopelle s’est exilé en ermite sur une île dans le Saint-Laurent. Il s’est mis à peindre à l’aérosol. Je ne crois pas qu’il aimait grand monde sauf ses oiseaux moches et Joan Mitchell.
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J’écris toujours en pensant à mes morts. Ceux qui rodent dans les marges.
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Tu dessines toujours avec l’envie qu’on s’enfarge dans le mobilier. Soudain, en fin de soirée, on échappe une coupe de vin lors d’un vernissage. On essuie sa robe en s’excusant.
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Ce texte est issu du projet Québec en synesthésie, une exposition extérieure multisensorielle qui mélange les arts visuels, la musique et la poésie.
Le projet est soutenu par l’Entente de développement culturel de la ville de Québec, et a été rendu possible grâce à la participation de nos partenaires, Le Pantoum, Boîte Béluga, Avatar et L’Oeil de Poisson.
À l'est de vos empires vous prépare une sélection hebdomadaire d'activités culturelles à faire à Québec.