Une discussion animée par Frédérique Anne Audet
Le 26 octobre dernier, j’ai rencontré les membres du collectif MMV2005 : Nemesis Michon, Petten savon et Je serai Scyïurg Clef. Ces trois étudiants, à peine sortis de leur programme de maîtrise à l’École d’art de l’Université Laval, œuvrent soit à la jonction, soit à la disjonction de la scène artistique et musicale québécoise.
F. A. : Comment vous êtes-vous rencontrés ?
N. M. : Il y a eu un cours avec un prof invité au printemps 2019, Francesco Carelli. Les trois, on était dans ce cours. C’était deux semaines de déambulation dans la ville.
Dans les dernières marches qu’on a faites, on a commencé à taponner et à jouer comme une fanfare avec ce qu’on avait. J’ai senti un déclic, en sachant qu’il y avait des intérêts communs parce qu’on marchait toujours ensemble.
P. S : Les trois, on appréciait l’improvisation musicale, autant ces moments dans le connu – qui sonnent comme de la musique, proche d’un registre qu’on connaît – que ces interstices décousus.
J. S. S. C. : Après, ça a pris six-sept mois avant qu’on jamme formellement.
F. A. : Vous vous rencontrez pour jammer et l’aspect photographique-performatif suit ?
N. M. : Il faut comprendre ça comme une suite de pensées et de gestes : jammer, enregistrer, faire une pochette d’album. C’est comme tout plein de moments qui s’accumulent et se poussent. Dès le début, on se surprenait à se suivre dans des montées, dans des décentes. On vit quelque chose.
P. S. : Il n’a pas de contrôle, le hasard vient du fait que je vais être en grave, puis là je vais arrêter. Il pourrait crier, passer de grave à aigu et c’est ça qui se passe. C’est un état d’ouverture et d’accueil.
N. M. : Exemple, quelqu’un va commencer à jouer avec sa guitare, et au lieu de nous donner une idée pour une chanson, on a une idée pour un film. On ne se donne pas de limites.
P.S. : On va dans d’autres zones. Plus on en fait, plus on se rend capables.
F. A. : Trouvez-vous qu’il y a une place pour ce que vous faites dans le milieu de l’art à Québec ?
P.S. : Je pense qu’il y a quelque chose de décomplexant de produire à l’extérieur du milieu où on étudie. En même temps, j’aime la position qu’on a. C’est une position de liberté, de marge de manœuvre. On ne dépend de personne pour faire ce qu’on fait. Mais il y a quand même des petites craques, des opportunités.
F. A. : Il y a des professeurs à l’Université qui intègrent le son à leur pratique ?
N. M. : Julie Faubert, Jocelyn Robert et Alexandre St-Onge sont quand même très axés sur la musique, l’art sonore, l’expérimental. Ils sont encore très actifs aussi. Alexandre St-Onge, sa pratique va être musicale, mais musicale-performative. C’est un bassiste qui improvise, mais il est aussi autre chose. Sans se nourrir de sa pratique, on la côtoie.
J. S. S. C. : Moi je ne pense pas. À chaque fois qu’on frôle l’art sonore, tant qu’à moi on est plus performance.
N. M. : On essaie de briser l’art sonore.
F. A. : Vos performances, à quoi ça ressemble? D’autres médiums entrent en jeu?
J. S. S. C. : À la base, l’idée c’est d’être en acceptation de ce qui vient, se permettre de traverser l’idée de sens pour faire notre moment sonore, performatif.
N. M. : Les moments où on a le plus performé, c’est durant la pandémie. On devait faire attention, on se donnait rendez-vous à des endroits, au pont. On performait à des endroits qu’on trouvait intéressants, un tunnel à Victo, une chaise berçante de ville.
J. S. S. C. : Il y a quand même toujours la caméra là pour se capter. Se mettre en scène, c’est un jeu.
P. S. : Ah oui parce qu’il y a toujours ça : les costumes, le maquillage, les objets, le montage vidéo.
F. A. : En tant que relève, c’est votre rôle de créer des espaces de diffusion?
P. S. : On ne sent pas qu’on doit le faire, mais il y a une volonté de montrer ce qui se passe autour de nous. Proposer des situations.
N. M. : Ça part tout le temps de juste vouloir faire quelque chose, le Grand Ciabatta Festival par exemple.
J.S.S.C : C’est un festival de diffusion d’œuvres vidéo at large, en live. On a invité des collègues, amis, artistes.
P.S. : On avait une grosse perf qu’on voulait présenter, mais on s’est dit qu’on ferait aussi une vidéo individuelle pour ça, en plus d’organiser l’évènement.
Le travail comme on fait, c’est important. Avec la maîtrise, c’est essentiel des modes de travail qui sont complètement autre chose, basés sur l’amitié, l’accueil, faire des choses pour faire des choses. C’est une structure de travail ressourçante.
F. A. : Qu’en avez-vous pensé, d’ailleurs, de votre passage à l’Université Laval?
N. M. : Le milieu universitaire m’a forcé à augmenter et pousser mon niveau de réflexion. J’ai vu, en les expérimentant, les failles de ça aussi. Où est-ce que ça mène ? À me désensibiliser aux choses ?
Ce qui fait partie de la sensation, à force d’en parler avec un discours philosophique, on s’en éloigne. Pourtant, ce qu’on lit part du fait qu’on vit. On se souvient comment sentir des émotions en regardant des œuvres, mais parfois tu sais plus si tu expérimentes un plaisir intellectuel ou un vrai plaisir.
Faire abstraction de la lourdeur des mots, de la posture philosophique, morale. Les émotions sont brutes, comparées à la manière dont on les explique.
Moi ce que j’ai apprécié, c’est que je voulais tellement donner des commentaires qui ont une portée. Oui tu penses à toi en art, mais tu vois beaucoup d’autres présentations. L’art me donne envie d’en faire, comme écouter de la musique de d’autres artistes de la scène expérimentale, surtout au Québec.
La musique expérimentale est structurée comme ça : entendre quelque chose, avoir envie d’en faire, faire autre chose. C’est juste un état de présence à quelque chose de distancé qui bouge aussi.
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Frédérique Anne Audet est bachelière en histoire de l’art et rédige actuellement un mémoire sur la photographie au Québec entre 1970 et 1990. Elle s’intéresse particulièrement à la posture philosophique et sociologique de l’artiste en société.
À l'est de vos empires vous prépare une sélection hebdomadaire d'activités culturelles à faire à Québec.