L’art interactif – La création d’une expérience artistique sensorielle

Un texte d’Amélie Nadeau

 

En art, la notion d’interaction peut d’abord être comprise comme un rapport mental entre les spectateur.rice.s et une œuvre regardée. Le travail de l’artiste, dès qu’il est observé, examiné et expérimenté par une personne, entre dans une relation subjective qui crée un échange; alors que l’œuvre offre des couleurs, des formes, des textures, le public développe quant à lui des émotions et des interprétations. L’interaction, dans cette perspective, relève donc essentiellement de la réception. Or, lorsqu’on évoque le concept d’art interactif, celui-ci renvoie plutôt à une forme d’art dynamique, au sein de laquelle l’œuvre, peu importe l’aspect qu’elle prend, réagit activement avec son public. Cette réaction est enclenchée grâce à l’utilisation de dispositifs, d’outils pouvant être manipulés de manière à engager une interaction active avec les spectateur.rice.s. L’art interactif implique donc un rapport entre l’œuvre et ses observateur.rice.s (ou plutôt expérimentateur.rice.s) qui n’est pas exclusivement psychologique. Ce type d’art permet donc l’exploitation de tous les sens possibles, mettant en place un contexte où l’œuvre est en réaction constante à son contexte externe, répondant activement aux mouvements et aux actes qui l’animent.

 

Quand on pense à une installation immersive d’art interactif, on imagine généralement qu’elle investit complètement l’espace, au sein duquel sont placés des dispositifs réagissant à chaque présence et mouvement. Ces dimensions de l’art interactif sont notables dans le travail de l’artiste Rosalie Dumont Gagné, qui exploite dans le cadre  de sa démarche la phénoménologie de la matière et de la perception. Artiste multidisciplinaire, ses intérêts portent notamment sur les relations paradoxales entre le microcosme et le macrocosme, les rêves individuels et collectifs ainsi qu’entre la technologie et la nature. Rosalie Dumont Gagné exploite notamment dans sa pratique le « biomimétisme » de manière à créer une simulation numérique de fonctions, de comportements et de réactions propres aux êtres vivants au moyen des technologies numériques [1]. L’installation Règne artificiel IV, présentée au cœur du Grand Théâtre de Québec de janvier 2020 à avril 2021, incarne cette réplique de caractères biomorphes grâce à une expérience immersive sensorielle. Le STUDIOTELUS s’est alors retrouvé envahi par un ensemble de 45 sculptures souples et organiques, bien que technologiques. À la manière d’un immense aquarium évacué de son eau, l’espace était peuplé de ces créatures émettant une lumière bleutée et ondulant sur le rythme d’une lente respiration. L’immersion sensorielle est complète grâce à la réaction de ces créatures à la présence de visiteur.se.s; contraction et gonflement, trémoussements et illuminations sont provoqués au fil des mouvements du public. Cette installation, par son caractère interactif, permet aux spectateur.rice.s de véritablement expérimenter l’œuvre et tous les éléments qui la composent. Le public s’insère ainsi directement dans la réflexion de l’artiste quant à l’interaction quasi constante qui joint les mondes organiques et technologiques, dans une société actuelle grandement dirigée par l’usage du numérique [2].

 

 

 

L’usage significatif du numérique dans la création d’œuvres d’art interactif est une part inhérente du travail de David Rokeby. Considéré comme l’un des pionnier.ère.s de l’art interactif, Rokeby est un artiste de l’installation qui se démarque internationalement grâce à la création de ses dispositifs réactionnaires. Dans le cadre de Manif d’art 10, présentée à Québec du 19 février au 24 avril derniers, deux œuvres de l’artiste étaient notamment présentées à La Chambre Blanche. L’une d’elles, titrée Minimal Object (With Time on Your Hands), a été produite entre les années 2012 et 2019 et met à profit les possibilités du numérique dans la création d’expériences artistiques interactives. Les visiteur.se.s, placé.e.s devant un panneau de toile utilisant le matériau qui recouvre habituellement les façades des enceintes de son, étaient invité.e.s à bouger leur main devant la surface du tissu. En réaction aux gesticulations, un ensemble de 300 objets sonores suivait alors le parcours des mains des spectateur.rice.s à travers diverses répétitions rythmiques, mesurant et exprimant le temps et l’espace exploités par le geste. Le public était alors sollicité au sein d’une expérience sensorielle tout à fait subjective, réagissant à sa présence, donnant presque une véritable matérialité au son projeté par les haut-parleurs [3].

 

L’art interactif a ainsi cette capacité à faire intervenir directement le.la spectateur.rice en le.la conviant à une participation active à sa propre expérience. Les artistes de l’interactif usent de dispositifs variés afin de créer des univers réactifs qui peuvent mettre en place une complète immersion, le tout en exploitant notamment les possibilités des technologies innovantes. Ce contexte permet de briser la frontière traditionnellement établie entre l’art et le public, formée en raison de l’interdiction de toucher, voire d’approcher les œuvres de trop près. Les œuvres peuvent ainsi être véritablement expérimentées par le public, visuellement, auditivement, et  même manuellement.

 

__________________

Amélie Nadeau est bachelière en histoire de l’art, elle complète actuellement un diplôme d’études supérieures spécialisées en muséologie à l’Université Laval.

 

[1] Rosalie Dumont Gagné, À propos, En ligne <http://www.rosaliedumont-gagne.com/>.

[2] Rosalie Dumont Gagné, Projets – Règne artificiel IV, En ligne. <http://www.rosaliedumont-gagne.com/ >.

[3] La Chambre Blanche, David Rokeby, En ligne. <https://www.chambreblanche.qc.ca/fr/chambreblanche/programmation/99975/manif-dart-10>.

Agenda de la semaine

À l'est de vos empires vous prépare une sélection hebdomadaire d'activités culturelles à faire à Québec.